Roger Yazbeck
 
Chasse sous-marine en haute mer
 
Halat-sur-Mer, au Liban. Roger Yazbeck pose avec ses quatre prises, des thons de 25 kilos, et son arbalète sous-marine.
Photos: Roger Yazbeck et Alan B. Chaffin
Roger Yazbeck pratique la chasse sous-marine depuis l'enfance. Il plonge notamment dans l'Atlantique, le Pacifique, la Méditerranée… et le lac Saint-François, au Québec. Pour nous présenter ce sport inusité, il nous décrit ici une partie de chasse au large du Liban.

Le bleu foncé s'assombrit rapidement sous les couches superposées de plus en plus opaques de millions de particules diverses, brouillant l'eau pourtant cristalline en surface. Le fuselage caractéristique du thon rouge, tel un ballon de football, se propulse droit sur moi comme une torpille au ralenti. Pris par surprise, je fige complètement et commande à mon cœur de battre moins fort et à plus bas régime. La récupération est presque immédiate.

Shooté à l'adrénaline du moment, je ne ressens plus le besoin de respirer et réussis à me fondre dans le décor. Pourtant, il y a à peine deux secondes, je palmais comme un forcené à une profondeur de 12 mètres.

La bête devine ma présence que trahissent les vibrations du courant marin face auquel je suis suspendu. Hors de portée, elle s'arrête et, comme en état d'apesanteur, oblique légèrement, me dévoilant son flanc. Sur fond bleu-noir, j'admire durant une fraction de seconde les reflets holographiques jaunes, bleus et argentés, oscillant comme sous les éclairs saccadés d'un flash invisible. Mes spasmes pulmonaires se rapprochent de plus en plus et tout mon corps crie à l'oxygène. Mais la volonté et l'endurance sont plus forts que le besoin pressant de respirer. Rassemblant mes forces, je recommence à palmer malgré mon corps engourdi par une overdose d'acide lactique.

Devinant la trajectoire du poisson à ce même moment, je compte sur les longues palmes en fibres de carbone pour une poussée maximale alors que, simultanément, j'étends mon bras droit, pointant l'arbalète jusque là cachée sous mon corps. Je tire au jugé en tenant compte instinctivement de la vitesse du poisson le plus rapide du monde.

Le thon rouge Thynnus mediterraneus est le plus rapide nageur du monde (plus vite qu'un dauphin, avec ses passes à 130 km/heure!) Il peut atteindre une longueur de 4,5 mètres et un poids de plus de 650 kilos.
Mes poumons me brûlent et la flèche d'acier part en même temps que le thon. La corde se raidit presque aussitôt et le combat est engagé. Le soleil de la Méditerranée m'inonde les yeux alors que j'expire comme un geyser tout l'air dans ma poitrine à un mètre de la surface. Puis c'est ma première bouffée d'air frais après une apnée de plus de 90 secondes. Une extraordinaire sensation de bien-être me submerge. L'air de la mer du Liban ne m'a jamais semblé aussi frais et pur. Je vois encore ce roi des poissons de haute mer piquer directement vers l'abysse à plus de 1000 mètres de fond, entraînant du même coup la corde reliée à la bouée de sécurité.

Il faudra plus d'une demi-heure de manœuvres variées avant de venir à bout de ce grand batailleur. Dans ses explosions de vitesse aussi puissantes qu'imprévisibles, il me transformera en planche à ski qu'il traînera à sa guise derrière lui dans l'eau. Agrippé à la bouée, il ne faudra pas lâcher prise, malgré la peur des fois paralysante, à la vue d'un requin attiré par l'odeur du 'repas gratuit'.

Pour le souper, on sert 'Toro' et du 'Maguro' en 'Sashimi'. Quoi de mieux pour compenser l'énergie dépensée durant quatre heures à pourchasser le thon rouge? De ce temps passé à palmer sans arrêt, plus de la moitié du travail s'est déroulé sous l'eau. La chasse sous-marine en apnée est donc une activité aérobique intense qu'on pratique en état d'anaérobie. Un sport extrême qui exige adresse et expérience, en plus d'une grande endurance.

Le site personnel de M. Yazbeck vous informera davantage sur son parcours de chasseur sous-marin et ses aventures.